Wednesday, September 21, 2011

Dans la gueule du loup

Par Berenika Bratny et Ruth Roberts

Un cheval est mort lors d’un CSO. Il est mort tel un gladiateur au temps des romains. C’était une véritable fête. Un frisson pour les spectateurs avec une “happy end puisque la cavalière a survécu” comme l’ont relaté les journaux plus tard.

J’ai les images sous les yeux, étape par étape. Une jeune cavalière blonde avec son cheval de seize ans. Sur la première photo on peut déjà voir ce qui va se produire — la cavalière est jetée loin au dessus de la selle, ses mains haut dans le vide. Le cheval exécute, en trébuchant d’avoir touché une barre.

„C’est le record national, tentez-vous de sauter plus haut?” — demanda l'organisateur, comme s’il s’agissait d’un de ces jeux télévisés. Mais là c’est en vrai, il s’agit de vie et de mort. La cavalière, comme si elle était en transe, hoche la tête — elle va prendre le risque. La foule retient son souffle.



Sur un autre cliché je les vois au dessus de l’obstacle, la même situation — les bras en l'air, le corps perd l’équilibre, la bouche et les yeux grands ouverts dans lesquels se lit la peur. Le cheval amorce la réception, la tête en direction du sol et l’encolure se pliant sous le poids du corps musclé qui suivait.







Cliché suivant — ils sont étendus côte à côte. Au loin on peut imaginer quelques personnes se précipiter pour venir en aide.



Le corps du cheval est masqué par des véhicules de manière à cacher son état aux spectateurs, ceci afin de ne pas nuire au spectacle. Le commentateur suggère à la foule que le cheval va être transporté dans un centre de soins pour se rétablir. Est-ce que c’est envisageable, ou est-ce plutôt pour rassurer la foule et lui faire croire que tout va continuer comme avant? Est-ce une blague? Plus tard, ils ont trainé son corps, toujours en vie. Un crime se cache, refermant le pont du van, pour épargner nos yeux, ne tenant plus compte de la dignité du cheval qui a risqué sa vie en ayant voulu tout donner dans un saut pour satisfaire le rêve d’une cavalière. Est-ce que nous voulons ignorer qu’il n’y a plus d’espoir pour ce cheval maintenant, et que sa vie n’est prolongée que jusqu’à ce qu’il disparaisse de la vue du public et qu’ensuite surviendra très vite son dernier souffle.

La cavalière va être emmenée à l’hôpital, juste au cas ou. Nous pouvons être rassurés maintenant — elle n’est pas blessée. Quoi que?

Je me demande quels sentiments elle va avoir à la suite de cette tragédie. Va t’elle avoir la chance de faire une introspection avant que des entraîneurs réputés lui demandent de ‘se remettre en selle’ pour affronter et dominer sa peur ?

J’essaye de l’imaginer, petite fille, lorsqu’elle a commencé cette aventure avec les chevaux. Lorsqu’elle s’est rendue dans les boxes pour la première fois. Elle n’aurait jamais pensé qu’elle tuerait son cheval dans le futur. J’ose espérer qu’elle aimait ces animaux. Elle rêvait peut-être à une possible communication sans barrières, comme n’importe lequel d’entre nous lorsque nous avons fait nos premiers pas vers eux.

Que s’est-il passé? A quel moment est survenu le premier conflit — aimant son cheval puis l’utilisant comme un faire valoir. A quel moment les récompenses de la domination sont elles devenues plus importantes, en comparaison au souvenir d’une relation douce et innocente ? Cette première fois. S’en souviendrait-elle? Etait-ce lorsqu’elle avait passé son pantalon d’équitation blanc, pour faire son premier concours, étant capable de forcer un cheval à obéir ou le frisson d’une victoire? Quelque part, quelqu’un à un certain moment, lui avait dit de ne pas écouter le cheval, de ne pas regarder les signaux qui auraient potentiellement pu lui éviter de tomber. Lorsqu’elle est entrée dans l’écurie pour la première fois personne ne lui a dit vers quoi elle se dirigeait et ce qu’il y avait devant elle. Elle doit s’en rendre compte maintenant, si les mots des entraîneurs réputés ne la rendent pas sourde puisqu’ils doivent crier bruyamment afin de conserver leur emprise, leur statut d’autorité ne devant pas être entaché.

Tout cela s’est produit comme dans un jeu de dominos. La première pièce à tomber a dû être celle où on lui a dit d’utiliser des “ aides plus fortes” à l’abord. Le reste suit naturellement — la spirale de peur et de frustration. La dernière pièce du jeu, une quinzaine d’années plus tard, correspond à la mort de son cheval. Cela a dû commencer lorsqu’elle était petite fille et qu’elle a été forcée de faire ressauter son poney après un refus.

Peut-être un jour passé, il y a longtemps, elle le mis à l'attache dans l'écurie, elle le lava, lui passa de l'huile, du shampoing et d'autres produits, puis utilisa tous ces instruments qui rendent un cheval mécontent et se demanda enfin pourquoi ce vieux hongre ne ressemblait pas à ces chevaux pleins d'allant, crinière au vent de ses posters? Elle chercha des conseils. les entraineurs professionnels l'auront rassuré, “ voilà à quoi ressemble” un cheval “normal”.

Ils continuent de clamer que ce qu’ils font est du ” vrai sport.” Quel type de sport repousse les limites de l’endurance. Tous le font. Toutefois, est-ce que l’animal a le choix? Est-ce que nous sommes capable de le reconnaître, ou allons nous continuer à dire “c’est ton travail”? N’était-ce pas ce que l’on disait et ce que l’on faisait aux esclaves ? Quand cela a t'il commencé ?

Le système auquel nous nous sommes résignés ou dans lequel nous sommes entré crée les succès et les défaites. Quelle est notre position selon la façon dont celui-ci justifie la sienne? Nous parlons des évolutions quotidiennes de la vie. Voyons l'étape suivante. Le jugement et la victoire pose les jalons, selon ses règles, de ce qui doit faire notre joie ou notre déception. Ce système finit par nous étouffer et nous broyer. Que reste t'il, des restes d'humains ou de chevaux?

La cruauté que nous voyons dans ces images n’est pas réduite aux prémices de la mort d’un être innocent, auquel on a ordonné tout cela sans lui demander s’il était valable de prendre ce risque et d’en souffrir les conséquences. Qu’est-ce qui vaut le mieux — la vie ou la mort? Vous dites qu’il aurait peut-être voulu franchir cette barrière pour sa survie. Et ensuite, qu’est-ce qui va suivre?

En ce qui me concerne, je m’interroge quant aux individus qui ont été témoins de cette tragédie, ont ils été choqués, horrifiés, énervés, en proies à la peur? Quel parti vont-ils prendre et comment vont ils le justifier? Qui aura été sensibilisé par cette situation et qui aura automatiquement occulté ce fait de sa mémoire ? Sommes nous capables de redescendre à un niveau de conscience où nous réalisons qui nous sommes devenus et sommes nous capable de réévaluer et d’explorer tout ce que nous avons accepté avec aveuglement ?

En regardant, sur différentes photos, toutes ces têtes innocentes coiffées de leurs bombes, remplies d’amour pour leurs poneys, n’êtes vous pas effrayés ? Ces enfants sont sur le point de se jeter dans la gueule du loup et tout ce que nous faisons est d’applaudir des deux mains, heureux. Comme c’est terrifiant.

Photo by Krzysztof Jarczewski.

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