Saturday, May 21, 2011

“Un cadavre dans le placard”

par Berenika Bratny
pour Academia Liberti

Je me rappelle une petite fille dans le village dans lequel j’habitais avec mes chevaux il y a des années. Elle aimait mon troupeau et passait la majeure partie de son temps dans le parc. Elle marchait, trottait et galopait avec les chevaux, elle mangeait même de l’herbe. Sa mère était terrifiée, particulièrement lorsqu’elle voyait sa fille sous Dukat, mon grand hongre, en train de lui gratter le ventre. Elle essayait de le protéger des mouches comme elle tentait d’expliquer.
Elle savait tout d’eux. Lorsque je venais prendre Dukat pour une ballade elle me mettait en toujours en garde: “Il est d’assez mauvaise humeur, vous feriez mieux de le laisser tranquille”. Je ne la comprenait pas à cette époque. Elle aimait mes chevaux et me détestait de tout son cœur. Parfois lorsque je montais, elle me suivait sur son vélo rouge, ne décrochant jamais un mot, ne répondant jamais à mes questions, me regardant seulement en fronçant les sourcils. Comme si elle essayait de protéger Dukat contre moi. Cela me lassait et j’essayais de gagner sa sympathie, je lui ai demandé si elle voulait monter à cheval. “Pourquoi devrais-je faire cela?” — me demanda-t’elle horrifiée. Je ne comprenais pas alors. Les années ont passé, j’ai déménagé avec mes chevaux, Dukat s’en est allé, je ne monte plus à cheval. Parfois, lorsque je me rappelle cette petite fille je suis si stupéfaite — elle savait tout ce que je sais maintenant. J’ai dû étudier si dur, lire des tonnes de livres, vivre avec mes chevaux durant des années pour me poser la même question que celle que me posait cette enfant: “Pourquoi devrais-je faire cela?”. Elle aimait les chevaux, elle les observait et elle était capable de comprendre les messages qu’ils lui transmettait parce que son coeur était grand ouvert et qu’elle ne connaissait rien du système dans lequel j’étais née, dans ma famille où tous étaient cavaliers.
Il y a une expression polonaise que l’on pourrait traduire par “Un cadavre dans le placard” signifiant que les vieux souvenirs que l’on pensait enfouis, ressurgissent au plus mauvais moment, nous déstabilisant totalement. En fait ma vie avec les chevaux est pleine de ces “cadavres”: mon anxiété habituelle lorsqu’Alaska ne me laisse pas lui passer un licol, ma nervosité quand Amigo saute en l’air joyeusement parce qu’il m’a vue, le fait de ne pas savoir quoi faire lorsque le maréchal tire la queue de Furia pour la faire bouger, mes problèmes pour expliquer pourquoi je dis “non” quand quelqu’un veut m’offrir son “aide” pour faire quelque chose avec ces “animaux n’obéissant pas aux règles”. Ma mère, une vieille femme de chevaux de l’ancienne école, qui a tout juste déménagé pour revenir vivre avec moi et mes chevaux saute au pied du lit au beau milieu de l’hiver, tout juste vêtue d’un pyjama, pour m’aider à “attraper” mes deux hongres qui marchent tranquillement dans le jardin alors que je les y laisse volontairement pour qu’ils sentent et s’habituent à ce qu’il y a de nouveau. Elle les a vu par la fenêtre, et bien qu’ils marchaient lentement dans les chemins couverts de neige, elle a ressenti l’urgence de les attraper “Un cheval en liberté signifie Danger”, Danger à tel point qu’elle a sauté hors de son lit et s’est précipitée dans les escaliers. Elle m’a vu — calme, versant de l’eau dans l’abreuvoir et a été surprise que je ne “réagisse”pas . Bon, nous avons beaucoup ri de cela ensuite, mais c’était sa première réaction.

Nous devons désapprendre tant de choses, pratiquement toutes les bêtises que l’on nous a enseigné dans les écuries des centres équestres. Et c’est la même chose pour les chevaux. Ils ont aussi leur mémoires, parfois plus marquées par ce qu’ils ont subi par le système que des années libertés. Je crie après mon chien qui aboie vers les chevaux et soudain je réalise que Reja si fière et dominante se transforme en un morceau de fourrure tremblant avec des yeux grands ouverts comme si elle ne me reconnaissait pas. A ce moment je suis devenue semblable à la légion d’humains qui l’a torturée auparavant. Et Alaska, toujours si gentille, attentive et à la recherche de contact avec les humains. Lorsque vient le vétérinaire pour l’examiner et que j’approche avec un licol ou même un cordéo, qui tourne la tête hors de portée aussi loin que possible, mais qui ne bouge pas. Elle est libre, elle pourrait s’enfuir à n’importe quel moment, mais non. A la vue du licol elle se retrouve enfermée dans son esprit, de retour dans cette petite stalle puante avec un oppresseur l’approchant. Elle secoue la tête, la tourne au loin, ferme les yeux et attend. Je dois attendre également, jusqu’à ce qu’elle comprenne que ce n’était qu’un mauvais rêve— “un cadavre dans le placard”. Elle se détend, mâchouille, regarde et nous pouvons à nouveau aller de l’avant. Nous en avons tous. J’envie ceux qui peuvent être aussi frais que cette petite fille qui voyait mes chevaux comme les victimes de mon plaisir et de mon ego il y a tant d’années.
Il y a une femme, Kasia, qui vient me rendre visite pour m’aider de temps en temps. Elle est très calme et n’a jamais eu de contact avec les chevaux auparavant. Mais elle aime tous les animaux. Lorsque j’ai essayé de lui expliquer certaines choses sur la nature complexe des chevaux elle souriait d’une étrange manière. Au début j’étais déçue qu’elle ne veuille pas apprendre. Je pensais: “Ca doit même être dangereux d’être au milieu de chevaux sans savoir comment réagir,”. Mais j’avais tort. Son sourire me rappela alors cette petite fille et je la laissais tranquille. Elle a réussi à les connaitre, un par un, à sa façon, à son propre rythme. Et ils ont aussi apprécié. Lorsqu’ils font quelque chose pour attirer son attention — Renverser une brouette pleine de fumier, saisir sa veste et la remuer dans une flaque d'eau, elle les trouvent extrêmement amusants. Son rire est leur récompense - le truc fonctionne, ils galopent furieusement autour d’elle en levant la croupe et en bottant dans le vide. Elle aime ces démonstrations et n’est jamais frustrée par rien. Elle n’a a apparemment aucun cadavre dans aucun placard.
Et il y a Amigo. Il n’a jamais connu la selle, il n’a jamais été battu ou trompé. Il sait très bien quel est le goût d’un morceau de sucre — C’est tout ce qu’il connaît des humains. Pas grand chose. Lorsqu’il est arrivé chez moi, donné par des propriétaires effrayés par son trop plein d’énergie, il était curieux de tout, tel un enfant. Les années ont passé et il n’a pas du tout changé. Toujours heureux, désireux de jouer, de voler les sacs des visiteurs et de s’enfuir avec, de voler tout ce qui paraît avoir une utilité pour les humains pour leur tourner autour avec son trophée dans le but de les faire crier ou de les voir tenter de lui reprendre. Oh quel plaisir il prend lorsqu’ils le poursuivent en faisant ces drôles de bruits. Parfois il s’arrête, laisse tomber l’objet par terre et veut le mettre en morceaux avec ses sabots. Voulant retrouver le plaisir de voir mon visage virer au rouge(comme la fois où il s’agissait d’un nouveau pull qui se trouvait dans le sac qu’il avait volé). Si fier de lui. Et si étonné lorsque quelqu’un n’est pas content de ses prouesses. Il fait volte face et je peux voir à quel point il est déçu que je n’applaudisse pas.
Alors lorsque je les vois marcher calmement ensemble, Kasia et Amigo, côte à côte, j’envie chacun d’eux. Ils ne savent rien des choses horribles que nous connaissons, le reste du troupeau et moi-même. Elle ne se pose pas de questions sur son envie de la suivre, elle sait qu’il vient toujours avec elle parce qu’à chaque fois qu’elle lui offre quelque chose c’est bon et appétissant. Chaque fois qu’il m’offre sa compagnie je suis si flattée et ma joie est si fragile à cause de mes doutes et mes craintes. J’aime les regarder, une femme fatiguée avec un étalon puissant, et je me demande si je parviendrai un jour à retrouver cette innocence enfantine, est-ce que je parviendrai à oublier le mal que j’ai fait?
Parfois je repense à cette petite fille. Qu’est-elle devenue? Je suppose qu’elle aurait environ quatorze ans aujourd’hui. J’espère que sa folle admiration pour les chevaux ne l’a pas conduite dans un de ces centres équestres, ou elle aurait appris que tout ce qu’elle savait au plus profond de son cœur était faux. J'espère qu’elle a toujours son côté si affirmatif et le courage de demander: ”Pourquoi dois-je faire cela?” Je croise les doigts pour elle.

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