Friday, May 20, 2011

Atelier pour un changement de vie

par Berenika Bratny
pour Academia Liberti


Une amie a récemment participé à un atelier pour un changement de vie. Elle n’en attendait pas un éclairage particulier, mais espérait seulement une compréhension sur la tension quotidienne. Le premier exercice qu’ils ont eu à faire était de se poser la question suivante — “qui êtes vous?”Les participants parlèrent de leur rôle social comme celui d’être mère ou fille, docteur ou enseignant, de leurs gouts et de leurs aversions, de leur passé, de leur environnement et de leur enfance, ils parlèrent encore et encore jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu’ils n’avaient plus rien d’autre à dire — qui êtes vous? C’était là que résidait tout le processus. Ils devaient faire face à un mur blanc et finalement à une disparition de leur ego. C’était assez difficile se rappelait t-elle. La partie la plus dure était d’occulter sa propre notion de ce qu’elle était et de tout ce à quoi elle s’identifiait.
J’ai envié cette expérience alors je me suis posée la même question. Qui suis-je? Qu’est-ce qui m’est le plus cher au point que je ne puisse pas m’en séparer? Mon image de chuchoteur à l’oreille des chevaux? La vision que j’ai de mon cheval, si parfait? L’image de ma si parfaite relation avec ce cheval parfait?
Alors j’ai regardé mes chevaux. Chacun d’eux. Est-ce que je les connais? Qui sont-ils vraiment? Je connais leur statut au sein du troupeau, Je connais leurs goûts et leurs aversions, Leurs jeux favoris et l’endroit ou ils aiment se gratter, leurs humeurs, leurs amis et leur façon de vivre, mais est-ce cela ?
Lorsque quelqu’un vient leur rendre visite, je l’emmène loin du troupeau et parle d’eux sans m’arrêter: "Voilà Reja." Elle a eu une vie difficile pleine d’expériences affreuses avec des propriétaires et des entraîneurs qui ont tenté de la briser mentalement mais sans s’être jamais laisser faire. Ce sera une combattante toute sa vie, préférant mourir plutôt que se rendre. C’est une jument dominante, une jument alpha. Elle n’autorise jamais aucun autre cheval à brouter dans son tas de foin. Elle n’a pas d’amis, seul un hongre qui ne la quitte jamais et avec lequel elle ne communique qu’en montrant les dents et en donnant des ruades. C’est son souffre douleur et son serviteur et elle est la maîtresse et la reine. Son règlement est tyrannique. Elle n’accepte aucun refus de quiconque. Tous les chevaux savent qu’elle peut attaquer telle un requin, sans aucun avertissement, donc tous gardent un œil sur elle. Particulièrement lorsqu’elle est en chaleurs. Et c’est une “féministe” comme l’a un jour appelée mon voisin. Elle déteste Amigo — l’étalon, de tout son coeur. Chaque fois qu’il approche de la clôture, elle l’attaque en montrant les dents et vous pouvez dire que ça lui fait de l’effet, il s’éloigne à chaque fois de la clôture. Une fois, en hiver, j’ai dû la faire passer à côté du paddock dans lequel il se trouvait. Soudain j’ai complètement perdu le contrôle de la situation, elle m’a poussé vers la clôture dans le but de le tuer. Il est resté figé choqué émotionnellement j’imagine puisqu’il n’a pas osé bouger, alors j’ai dû composer pour la persuader de le laisser tranquille. Depuis, lorsqu’il se produit un situation similaire où j’aie à l’amener proche de la clôture, je dois lui mettre un licol. C’est une situation dangereuse. Pas pour elle, pour lui.
Voilà comment je la vois. C’est aussi telle que tout le monde la voit après avoir raconté cette histoire effrayante. Alors elle arrive. Les yeux mi clos, de bonne humeur, elle présente son arrière main pour se faire gratter et mon visiteur sursaute de terreur. Qu'est-ce qui ne va pas ? Reja est surprise. Il est surpris lorsque je commence à gratter sa croupe. « Est-ce que ce n’est pas dangereux ?” — demande-t'il. — "Bon c’est dangereux de ne pas la gratter lorsqu’elle le demande," — dis-je en plaisantant mais je le vois devenir nerveux. Mais aujourd’hui Reja est quelqu’un d’autre. Elle est endormie, recherche des gratouilles et beaucoup d’attention, elle veut même faire un bout de chemin avec nous mais sentant la peur du visiteur elle s’éloigne déçue. Après un moment nous la voyons panser la plus jeune jument du troupeau, celle qui a le rang le plus bas dans la hiérarchie du troupeau. Alors qui est Reja ? Est-ce que je la connais vraiment ?



Il y a une autre histoire, celle de mon premier cheval Dukat qui est mort il y a trois ans. J’étais allée dans un centre équestre pour y acheter une selle. Lorsque je suis rentrée dans les écuries, la seule chose à laquelle je pensais était de m’en aller. C’était une vieille étable construite pour des moutons, donc très sombre, bas de plafond, sans air. Et les chevaux étaient tous attachés avec des chaînes tendues autour du cou. La plupart d’entre eux étaient si abattus qu’ils n’ont même pas levé la tête pour voir qui venait. Il y avait néanmoins quelqu’un de vivant là-dedans ; Dukat attrapa ma manche et ne la lâcha pas avant que j’aie demandé au propriétaire s’il était prêt à me le vendre. Je ne savait même pas si c’était un hongre ou une jument avant de décider qu’il devait venir avec moi. Je ne savais pas non plus que c’était le plus grand cheval du monde. Je mesure 1m60, nous avions l’air vraiment amusants ces années là, lorsque je le montais. — une fourmi chevauchant un éléphant. Je l’ai eu pendant des années, vivant à un endroit, déménageant ensuite pour un autre. Son troupeau a grandi et il était le fier chef des parcs et des prés. Il était toujours un adorable animal calme, tranquille et pardonnant. Toujours. Mais pendant notre première année ensemble, lorsque j’écoutais tous les “professionnels” alentours et dévorait tous les livres sur la psychologie équine il était:
1. trop dangereux (à cause de sa taille);
2. trop fier (à cause de sa taille);
3. trop paresseux (à cause de sa taille);
4. très intelligent;
5. réfléchissait lentement;
et ainsi de suite.
C’était toujours le même Dukat mais dans mon esprit il avait tous ces qualificatifs parce que quelqu’un l’avait suggéré ou que je projetais mes peurs sur lui ou que je voulais qu’il soit comme cela. Maintenant qu’il est parti, je sais que ça n’avait aucune importance de comment je l’avais qualifié, il était tout simplement lui-même. Les chevaux sont ce qu’ils sont, sans jugement sur eux-mêmes. Ils sont le miroir de nos espoirs, de nos peurs et de nos rêves. Un miroir de nous-mêmes.
Maintenant je passe ma vie à examiner le comportement et l’humeur de mes chevaux et je ne les connais toujours pas. J'ai dû abandonner l’idée d’une relation idéale avec Reja. J’ai dû admettre qu’elle ne m’aimerait jamais après tout ce que je lui ai fait par le passé, lorsque je la montais. J’ai réalisé cela et, à ma grande surprise, ce fut une révélation. Son attitude a également changé. Peut-être ne sent elle plus ma tension et le poids de mes attentes. Peut-être a-t’elle eu elle aussi une révélation ?
Après l’expérience de cet atelier pour un changement de vie, mon amie a fait un rêve ;— un enfant faisait des châteaux de sable sur la plage. Dans ce rêve mon amie réalisa qu’elle avait trouvé la réponse à la question “qui êtes vous?” — elle était un château de sable. Alors une vague l’emmena. Elle était terrifiée à l’idée de disparaître et après un moment elle était un autre château de sable, puis un autre et encore un et soudain il n’y avait plus de différence — elle était à la fois le château de sable, le sable et l’eau qui l’emmenait. Et soudain elle sut —elle était tout, elle était la vie même.
Peut-être que nous et nos chevaux sommes la même chose, uniquement des petites particules de vie, Les vagues et la mer, les châteaux de sable construits un après-midi ensoleillé? Un jour Reja est une jument agressive qui souffle par les naseaux, le jour suivant elle est allongée dès les premiers rayons du soleil et me laisse m’asseoir à côté d’elle et à respire au même rythme qu’elle. Je me sens honorée. Elle est juste elle-même, ne correspondant à aucune description, ces descriptions que font les humains pour comprendre le monde. Les Animaux n’ont pas besoin de cela. Ils n’ont pas besoin de comprendre le monde, ils SONT le monde, ils sont l’air qu’ils respirent et l’herbe qu’ils mangent. C’est seulement nous qui somment coupés du reste du monde et qui avons besoin d’explications pour chaque chose. J’ai réalisé que ma vie avec les chevaux était mon atelier pour un changement de vie. Je change, ils changent, nos vie changent en même temps, ou est-ce seulement un rêve?


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